Les films mettant en scène des mariages reprennent les éléments constitutifs de la pensée commune. La situation géographique est très importante et peut parfois être également un atout, comme c’est le cas dans Jour J[1] par exemple, puisque le mariage a lieu dans une crique isolée du reste du monde :
Lieu de cérémonie du mariage dans Jour J. Au delà d’être typique des scénographies de mariage, le lieu est idyllique [01:33:55]
Nombreuses sont les productions audiovisuelles qui mettent en scène une union au bord de l’eau et cela n’est pas un hasard. En effet, au-delà des aspects idyllique et onirique de l’endroit, le choix d’une cérémonie au bord de l’eau ramène aux significations originelles de cette dernière : l’eau est synonyme d’« une naissance irrésistible, une naissance continue[2] » et « accueille toutes les images de la pureté[3] ». Aussi, le mariage peut donc être interprété comme un nouveau commencement, une régénération purifiée. Cette notion de pureté rappelle également l’idée de la pureté virginale qui était l’un des fondements du mariage catholique.
De plus, la crique isolée renvoie également à l’imaginaire insulaire : être coupé du reste du monde et être loin du danger extérieur, se construire de manière autonome sans avoir besoin d’autrui. Le choix de ce genre de lieu semble donc propice au bonheur et à la sérénité.
La scénographie de mariage est semblable d’une cérémonie à l’autre. Cette scénographie quasi « universelle » découle tout droit de la scénographie religieuse. En effet, qu’elle se déroule à l’église, à la mairie ou dans un lieu totalement autre, certains éléments sont récurrents, notamment l’allée centrale et les chaises de chaque côté. Il y a également toujours un élément au bout de cette allée, qui varie en fonction du type de la cérémonie : un autel, un bureau, une arche ou encore simplement des petites marches. Ces éléments ont également tendance à s’uniformiser selon les types de cérémonies : l’arche pour les cérémonies laïques, l’autel pour les religieuses, le bureau ou la table pour les cérémonies civiles. Ces éléments, qu’ils soient décoratifs ou non, ont une valeur symbolique de seuil. Philippe Bonnin, dans son article « Dispositifs et rituels du seuil », explique que le seuil fonde les espaces, qu’il existe dès lors « qu’on a eu l’intention de séparer un lieu du reste du monde […] et où se cristallise l’intime, où se construit l’identité, où se réalisent la protection et la sécurité recherchées[4] ». Autrement dit, le seuil accompagne la nouvelle naissance que représente le mariage, il s’agirait d’une sorte de porte métaphorique qui appuierait la symbolique du rite de passage. Cette porte métaphorique est très bien mise en scène lors des cérémonies laïques, puisque de nombreux couples optent pour une arche fleurie installée au bout de l’allée et sous laquelle ils s’unissent.
De plus, le symbolisme de l’arche est très vaste. En effet, sa simple évocation renvoie immédiatement à l’arche de Noé, qui symbolise « la protection et la régénérescence[5] », mais aussi à l’arche d’Alliance, gage de la protection divine. Aussi, l’arche représente le futur foyer sécurisé que vont former les mariés. Ces références bibliques, tout comme les gestes rituels, posent aussi la question d’une continuité mystique : la cérémonie se veut laïque mais semble tout de même attachée à une dimension sacrée, héritée des traditions religieuses.
Même dans les films du genre horrifique, cette scénographie est présente. Dans Ready or Not[6] par exemple, la scène finale est à mettre en parallèle avec la scène d’union du début film. Grace, la mariée dont la robe est devenue totalement rouge, presque noire, est à la place des deux mariés, seule. Elle vient de tuer les membres de sa belle-famille, qui voulaient la tuer également. La caméra, par le biais d’un travelling avant, remonte lentement l’allée, bordée de chaises blanches décorées. La caméra prend ainsi la place des mariés. En arrière-plan, la maison brûle, ajoutant encore une touche surréaliste à la scène. Cette séquence met en avant un contraste évident : les chaises blanches du premier plan représentent la pureté et sont des vestiges de la symbolique originelle du mariage alors que la robe rouge, presque noire, et la maison prenant feu viennent casser cette image du mariage lisse et parfait :
De haut en bas : scène du mariage au début du film [00:09:07] et scène finale de Ready or Not [01:29:40]
Dans cette production, le seuil est représenté par les marches mais aussi et surtout par le manoir familial, devant lequel les deux mariés se disent oui. Ce dernier marque une certaine rupture avec la symbolique habituelle du seuil citée précédemment et cela est typique du genre horrifique. En effet, même s’il reste le lieu où se construit l’identité de Grace au fil des meurtres, il ne représente en revanche aucunement la protection et la sécurité, comme cela devrait être le cas du foyer familial. Bien au contraire, il va s’apparenter à un enfer labyrinthique dans lequel vont évoluer les personnages au cours de leur chasse à l’homme. Aussi, le manoir reste tout de même une figure du seuil dans le sens où il devient un espace initiatique : Grace y perd son innocence initiale et y découvre progressivement toute la noirceur humaine.
Cette scénographie type du mariage touche tous les genres : romance, comédie, horreur, thriller ou encore pornographie, elle est devenue un symbole récurrent qui fait le mariage. Aussi, même en prison, cette scénographie reste respectée, comme c’est le cas dans l’épisode 13 de la saison 3 d’Orange is the New Black[7]., où les deux mariés se font face devant l’officiant et les deux témoins dessinant une allée :
Mariage de Lorna et de Vincent dans la série Orange is the New Black [00:31:05]
Dans cette épisode, la scénographie, bien qu’adaptée au contexte, symbolise la cérémonie du mariage à elle seule. Pour apporter une touche finale, la mariée porte un voile, à défaut de pouvoir porter une vraie robe de mariée. Celui-ci étant fait avec les moyens du bord, il est réalisé en papier toilettes. Ici, la symbolique du mariage est d’autant plus forte que la prison est associée à l’exclusion sociale. Reproduire la scénographie habituelle d’une union apparaît ainsi comme une résistance à cette exclusion et témoigne d’un désir de continuer à s’affirmer dans la norme sociale. Le mariage de Lorna et Vincent permet donc à la détenue de se raccrocher au monde extérieur pendant quelques minutes.
Les productions audiovisuelles incluant un mariage mettent ainsi toutes en lumière une scénographie semblable, que la cérémonie soit civile, laïque ou religieuse.
De de haut en bas :
Star Wars : Episode II – Attack of the Clones[8] ; The Big Bang Theory[9] [Episode 24, saison 5] ; Four Weddings and a Funeral[10] ; 27 dresses[16]. ; Just Married[14] ; Jour J ; Corpse Bride[15]
Ainsi, la récurrence de la scénographie participe du scénario socialisé : ça ne serait pas un « vrai mariage » si elle était différente. Cette configuration est donc constitutive du mariage et est répétitive dans les productions audiovisuelles. Pourtant, une cérémonie laïque peut être construite selon tous les désirs des mariés, elle n’est donc pas obligée de respecter une scénographie type. Or, les mariés qui s’unissent par le biais de cette cérémonie font tout de même le choix de la scénographie « universelle », preuve de son ancrage dans les pratiques contemporaines des individus.
De plus, l’image ayant une grande influence sur les spectateurs, ces derniers sont nombreux à s’en inspirer pour créer leur « propre » cérémonie de mariage. Félix Moser écrit d’ailleurs dans son article que « la personnalisation se coule dans le moule des codes et des conventions retransmises lors des mariages princiers notamment, tout comme lors des mariages de fictions cinématographiques ou télévisuelles[18]». Il y a donc bien cette idée paradoxale qui se dresse entre la volonté d’une cérémonie complètement unique et la nécessaire influence sociale.
[Article issu de mon mémoire de recherche de Master 2 « Echange de promesses ou promesse sans échange ? Prégnance et ambivalence du mariage-spectacle comme phénomène social et audiovisuel« ].
[1] KHERICI Reem, Jour J, Mandarin Cinéma, 2017, 94 min.
[2] BACHELARD Gaston, L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière, édition électronique [édition José Corti], 2016 [1942], p. 26.
[3] Ibid.
[4] BONNIN Philippe, « Dispositifs et rituels du seuil », Communications, n°70, 2000, pp. 65-92, p. 69.
[5] « La symbolique de l’arche », 1001 symboles, consulté le 22 mai 2020, URL : https://1001symboles.net/symbole/sens-de-arche.html
[6] GILLETT Tyler, BETTINELLI-OLPIN Matt, Ready or Not [Wedding Nightmare], Mythology Entertainment/Vinson Films, 2019, 95 min.
[7] KOHAN Jenji, Orange is the New Black, Tilted Productions / Lionsgate Television, 2013-2019, 91 épisodes.
[8] LUCAS George, Star Wars : Episode II – Attack of the Clones [Star Wars : Episode II – L’Attaque des Clones], Lucasfilm, 2002, 142 min.
[9] LORRE Chuck, PRADY Bill, The Big Bang Theory, Warner Bros. Television, 2007-2019, 279 épisodes.
[10] NEWELL Mike, Four Weddings and a Funeral [Quatre Mariages et un enterrement], PolyGram Filmed Entertainment / Channel Four Films, 1994, 117 min.
[12] WEILAND Paul, Made of Honor [ Le Témoin amoureux], Original Film, 2008, 101 min.
[14] LEVY Shawn, Just Married [Pour le meilleur et pour le rire], 20th Century Fox, 2003, 94 min.
[15] BURTON Tim, Corpse Bride [Les Noces Funèbres], Tim Burton Productions / Laika, 2005, 76 min.
[16] FLETCHER Anne, 27 Dresses [27 Robes], 20th Century Fox / Spyglass Entertainment, 2008, 108 min.
[18] MOSER Félix, « La cérémonie de mariage à l’église. Entre culture et event », Etudes théologiques et religieuses, op. cit.