Mariage et réenchantement du monde

Rares sont les films de mariage qui se déroulent comme prévu. La chaîne Blow Up sur Arte, spécialisée sur l’actualité au cinéma, en a fait le constat : « les mariages au cinéma ne se passent pas toujours très bien[1] » [00:06:19]. Il faut cependant faire la différence entre les productions se concentrant uniquement sur un mariage et celles où le mariage ne constitue qu’un passage. Dans le premier cas, lorsque le mariage est le sujet central, il va forcément y avoir des accrocs. Que l’union soit forcée, emplie de doutes, annulée au dernier moment ou tout simplement chamboulée par des imprévus de dernière minute, les productions audiovisuelles mettant à l’honneur le mariage montrent des unions chaotiques, parfois douloureuses, voire tragiques. De la simple mésentente des convives dans Plan de Table[2] à l’invasion de zombies dans [REC]3 : Genesis[3], en passant par une mariée prenant la fuite dans Just Married (ou presque)[4], par une chasse à l’homme dans Wedding Nightmare[5] ou encore par l’assassinat du marié dans La mariée était en noir[6], il semble toujours y avoir une ombre au tableau. Cela permet de montrer que, même si le mariage est un thème qui prend de plus en plus d’ampleur au sein de la société, un mariage fictionnel qui se déroule trop bien ne présente pas grand intérêt pour le spectateur. Pour accrocher celui-ci, il lui faut donc de la surprise et des obstacles imprévus, ces derniers étant essentiels pour créer une intrigue selon Tzvetan Todorov. Dans son ouvrage Qu’est-ce que le structuralisme ?, il explique en effet qu’ « un récit idéal commence par une situation stable qu’une force quelconque vient perturber.  Il en résulte un état de déséquilibre [puis] par l’action d’une force dirigée en sens inverse, l’équilibre est rétabli[7] ». Aussi, quand le mariage est le sujet central de la production audiovisuelle, il ne se passe jamais comme prévu et l’équilibre rétabli à la fin est d’autant plus savouré par les spectateurs.

En revanche, lorsque le mariage n’est qu’un passage dans une production audiovisuelle, il a alors tendance à se dérouler parfaitement bien, à plus forte raison lorsqu’il constitue le grand final de la production. Ce déroulement idyllique a un objectif bien précis : viser un réenchantement du monde. En outre, même si le mariage peut apparaître comme le début d’une nouvelle vie, il constitue un véritable aboutissement dans certaines fictions. Il suffit de se référer à la fin des contes de fées où les amoureux, après s’être mariés, « vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Ainsi, le mariage semble être une fin en soi et de nombreuses séries se terminent par cet évènement lors de leur(s) dernier(s) épisode(s) : Desperate Housewives, Mentalist, Newport Beach, Pretty Little Liars, Jane the Virgin, Revenge, Shadowhunters, The Fosters ou encore Gossip Girl. A l’inverse de ce qui a été dit précédemment, ces mariages se déroulent beaucoup mieux que ceux dans les films spécifiquement dédiés au thème. Accrocs minimes voire pas d’accroc du tout, l’idée d’une fin en soi est très bien illustrée dans ces séries.

Outre le réenchantement, le final nuptial idéal des fictions, c’est-à-dire sans accroc, n’est pas un hasard. En effet, l’une des premières raisons est simple : le spectateur attend avec impatience de voir les personnages qu’il suit depuis plusieurs saisons s’unir pour la vie : qui n’aurait pas été heureux de voir Patrick Jane se marier avec Teresa Lisbon dans Mentalist[8]  ou de voir Seth Cohen s’unir à Summer Roberts dans Newport Beach[9] ? Ainsi, le public veut des fins heureuses, à plus forte raison lorsque cela concerne ses personnages favoris. Aussi, les séries s’achevant sur un mariage contribuent à propager le bonheur, ou du moins à en faire l’illusion. Ces happy end présentent une importance capitale, comme l’explique l’auteure Anne-Marie Bidaud dans son ouvrage Hollywood et le rêve américain :

Plus que tout autre convention cinématographique, celle du happy end contribue à entretenir l’optimisme du public. Bien que toutes les résolutions de films ne correspondent pas à ce modèle, sa fréquence en fait pourtant une des figures emblématiques du style hollywoodien. C’est une conclusion rassurante parce qu’elle garantit un retour à l’ordre, social et moral […]. Les héros positifs y atteignent aussi une apothéose hautement romanesque, associée le plus souvent au cliché du couple figé dans un baiser à goût d’éternité, sur lequel viennent s’inscrire les mots magiques : The End. En tant que point d’orgue, le happy end induit une forme de temporalité accompagnée d’un sentiment de complétude et d’accomplissement, il propose un type de clôture qui donne l’illusion d’échapper au devenir[10].

Ainsi, cette illusion d’échapper au devenir rappelle le présentisme d’Hartog : se concentrer uniquement sur le présent et faire abstraction du passé et du futur. De cette façon, le spectateur reste sur une union positive et festive, à l’image de celle de Renée Perry et Ben Faulkner dans Desperate Housewives[11] et ne voit donc pas les mésententes et tensions potentielles ni le divorce éventuel. Ainsi, l’image est ancrée dans l’esprit du spectateur pour finir la série en beauté.

En outre, ce final en apothéose pourrait également engendrer un sentiment d’identification de la part du spectateur : celui-ci aimerait ou aurait aimé que son mariage se déroule de la même manière et se cristallise aussi dans le bonheur pour l’éternité. Ainsi, les mariages des productions audiovisuelles, lorsqu’ils constituent le grand final, permettraient de venir contrebalancer les échecs sentimentaux des spectateurs et donc de pallier au désenchantement du quotidien.

 

[Article issu de mon mémoire de recherche de Master 2 « Echange de promesses ou promesse sans échange ? Prégnance et ambivalence du mariage-spectacle comme phénomène social et audiovisuel« ]

 

[1] « Le mariage au cinéma », Blow Up, Arte, mis en ligne le 20 juin 2017, consulté le 25 février 2020, URL : https://www.youtube.com/watch?v=0Dz8Vi2tpY4

[2] RAYNAL Christelle, Plan de table, ARP Sélection, 2011, 84 min.

[3] PLAZA Paco, [REC]3: Genesis, Filmax, 2012, 80 min.

[4] MARSHALL Gary, Runaway Bride [Just Married (ou presque)], Touchstone Pictures, 1999, 112 min.

[5] GILLETT Tyler, BETTINELLI-OLPIN Matt, Ready or Not [Wedding Nightmare], Mythology Entertainment/Vinson Films, 2019, 95 min.

[6] TRUFFAUT François, La mariée était en noir, Les films du Carosse / Cinematografica, 1968, 107 min.

[7] TODOROV Tzvetan, Qu’est-ce que le structuralisme ?, t. II,  Poétique, Seuil, coll. « Points », 1977, p. 82.

[8] HELLER Bruno, The Mentalist, Warner Bros Television, 2008-2015, 42 min.

[9] SCHWARTZ Josh, The O.C [Newport Beach], 2003-2007, 92 épisodes.

[10] BIDAUD Anne-Marie, Hollywood et le rêve américain, Armand Colin, 2012 [1994], p. 268.

[11] CHERRY Marc, Desperate Housewives, Touchstone Television / ABC Studios, 2004-2012, 180 épisodes.

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